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Communication interne

Digital Workplace : nouveau miroir aux alouettes des entreprises ?

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Faire tomber les murs de l’entreprise, c’est la promesse de la digital workplace qui fait rêver toutes les grandes organisations. Mais à quoi sert vraiment une digital workplace ? Quels sont ses atouts et ses risques ? Comment l’animer ? Les explications d’Emmanuelle Léon, professeur de management à ESCP Business School, conférencière et directrice scientifique de la chaire Reinventing Work.

Qu’est-ce que les entreprises attendent vraiment de leur digital workplace ?

Emmanuelle Léon : Les entreprises veulent une meilleure gestion des savoirs, une communication plus fluide, davantage de transparence, plus de coopération et d’efficacité. Et aujourd’hui, tous les outils existent sur le marché. Mais si la digital workplace est uniquement envisagée sous l’angle de l’outillage des salariés, les projets aboutissent généralement à des demi-réussites, voire à de cuisants échecs.

Pourquoi la digital workplace peut s’avérer inefficace ?

Il faut se poser la question de l’adéquation entre les fonctionnalités de l’outil et la culture de l’organisation, notamment la culture managériale. Prenons l’exemple d’une entreprise très hiérarchique, qui privilégie la communication descendante : mettre en place un réseau social ne suffira pas à transformer ce mode de fonctionnement ! Ou encore une entreprise où la compétition prime sur la coopération : pourquoi choisir de partager avec d’autres le fruit de son travail, et prendre le risque de ne pas être reconnue ! Les fonctionnalités de la digital workplace permettent aussi bien une communication transparente, horizontale, que le déploiement d’un contrôle sur les activités de ses collaborateurs. Tout dépend donc des intentions et de la vision des dirigeants de l’entreprise.

Quels sont les facteurs de réussites pour l’installation d’une digital workplace ?

Ce sont finalement les mêmes que pour n’importe quel projet de transformation. D’abord, il faut que le projet soit clair afin que tout le monde puisse le comprendre et se l’approprier. Ensuite, le top management doit être exemplaire aussi bien dans l’adoption de l’outil que dans son utilisation. Il faut savoir encourager et féliciter ceux et celles qui se lancent et contribuent. Le temps consacré à partager et échanger se doit d’être valorisé. Si les processus d’évaluation de l’entreprise restent figés sur l’atteinte d’objectifs totalement déconnectés, pourquoi les salariés passeraient-ils du temps à enrichir la digital workplace ? La notion de pilotage s’avère donc primordiale. Il ne faut pas hésiter à pratiquer le test and learn qui permet la création et le partage de bonnes pratiques à l’ensemble de l’entreprise. 

Cela revient à changer le mode de management…

Effectivement. D’autant plus que la digital workplace est bien souvent et indirectement un outil de diagnostic des problèmes managériaux. Un exemple : dans certaines entreprises, on ne sait plus qui est dans l’équipe... Les outils modernes font rapidement ressortir cela. Il ne faut pas rester à l’étape du constat mais bien comprendre le problème pour y répondre concrètement. Dans ce cas précis, soit en réajustant l’équipe, soit en mettant un terme à un turn over trop important.

On en revient donc toujours au collaborateur ?

Oui et d’ailleurs cela reste de la responsabilité de l’entreprise de s’assurer que les collaborateurs sont capables de trouver la/les bonnes méthodes dans leur nouvel environnement de travail digitalisé. 

Le manque de formation peut-il être un frein au développement de la digital workplace ?

Oui et plus que nous le croyons. Nous partons du principe que les nouveaux outils digitaux sont intuitifs et donc, nous ne proposons pas de formation. La digital workplace fait porter la responsabilité de l’utilisation sur le collaborateur. Pour autant, on peut être partant et ne pas savoir l’utiliser… Certains préfèrent paraitre réticents au changement plutôt qu’incapables de s’approprier les outils. Mieux vaut être catalogué comme réfractaire que comme incompétent !

Quels sont les d'autres écueils à éviter ?

Nous sommes souvent surpris de la manière dont les collaborateurs prennent en main les outils. Il faut avoir l’intelligence de regarder si les usages ne s’avèrent pas différents de ce qui était prévu initialement… Il faut laisser aux utilisateurs une certaine latitude. Tout uniformiser et siloter revient à construire un système opaque, hiérarchique, fermé… à l’opposé de la philosophie de la digital workplace. 

Autre paradoxe : la multiplication de ces outils digitaux - censés faciliter le travail – peuvent parfois le complexifier…

Oui, l’agrégation des logiciels en lien avec l’entreprise provoquent une crise de conscience managériale et même parfois, écologique. Toutefois, quand les collaborateurs sont à l’aise avec un outil, il est souvent difficile de l’abandonner pour repartir de zéro avec un autre… L’exemple le plus criant est celui de l’e-mail. Cela fait des années que les managers dénoncent son utilisation massive, envahissante et chronophage. Pour autant, tout le monde est à l’aise avec cet outil.

Au final, est-ce que toutes les entreprises ont intérêt à lancer une digital workplace ?

Tout dépend de la taille et du mode de fonctionnement de l’entreprise. Ce n’est pas forcément pertinent pour des PME et TPE par exemple, surtout si les individus partagent un même espace. En revanche, pour les grands groupes dispersés géographiquement, je ne pense pas que la question se pose. Celui qui adopte une digital workplace bénéficie d’une compétitivité accrue par rapport à une entreprise qui n’ose pas sauter le pas.

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