Regards d'experts

SOCIAL MEDIA

Vers la fin du mass content ?

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Toutes les marques sont présentes sur les réseaux sociaux pour toucher l’audience la plus large possible, en multipliant les contenus et les campagnes publicitaires. Pour Camille Alloing, enseignant-chercheur à l’IAE de Poitiers, cette stratégie mériterait d’être repensée. Interview.

Qu’apporte à la marque une présence régulière sur les réseaux sociaux ?


Camille Alloing : Pour schématiser, il faut se représenter un triptyque d’acteurs du numérique, à savoir les publics, la marque, et les plateformes. Une présence régulière de la marque sur les réseaux sociaux lui permet de gagner en visibilité et de s’adapter plus rapidement aux changements technologiques. Pour les publics, cette présence crée une forme de routine : on va s’habituer à suivre telle ou telle marque qui va ainsi s’ancrer dans notre quotidien.


Il y a quelques années encore, les médias sociaux revêtaient un caractère exceptionnel. Tout le monde rêvait d’y faire « la grosse campagne ». Aujourd’hui, de plus en plus d’organisations commencent à voir un intérêt à être présent au quotidien. Il n’y a finalement plus rien d’exceptionnel à utiliser les médias sociaux. Comme à la TV, on s’habitue à voir passer les pubs de telle ou telle marque.


Quels conseils donneriez-vous à une marque afin d’optimiser sa e-réputation ?


La marque ne doit plus se penser en termes d’ « ambassadeur » (c’est-à-dire aller vers les publics) mais en termes d’explorateur. Les collaborateurs et les agences doivent prendre le temps de vivre « avec » les publics en ligne, de les observer, de discuter avec eux. Il faut s’acculturer, infuser ce qui se passe dans les communautés.


Aujourd’hui, on s’aperçoit que les micro-influenceurs sont devenus très importants. Même une personne ayant 50 followers sur Twitter peut un jour parvenir à 50 000 retweets. Si l’on pense « qualitatif », on se rend donc compte que tout est une question de contexte ; et qu’à partir du moment où l’on a intégré la façon dont fonctionnent des petits groupes, on peut produire des contenus pour eux, et avec eux. Pour moi, cette technique de l’explorateur reviendrait certainement moins cher aux organisations plutôt qu’une grande campagne à des centaines de milliers d’euros.


Quels sont les types de formats et de contenus à privilégier sur les réseaux sociaux ?


Dans mes travaux de recherches, je dis toujours « L’habit ne fait pas le moine, mais il aide à rentrer dans l’abbaye » ! Cela signifie que les organisations doivent connaître le « dresscode » des communautés qu’elles veulent toucher. Par exemple, pour des étudiants qui pourraient consulter leurs comptes sociaux pendant les cours, une vidéo doit pouvoir se regarder rapidement, sans le son et donc avec du texte. Une grande partie des médias ont repris cette idée, comme Brut.

Ce qui est très fort avec les médias sociaux, c’est que les marques peuvent affiner leurs contenus en fonction de leurs cibles. La réaction du public est prévisible. C’est pourquoi je forme mes étudiants à l’ethnographie : je les envoie lire des milliers de commentaires pour qu’ils s’approprient la manière dont fonctionnent les groupes. A partir de là, on peut créer un bon contenu. Le budget des marques n’étant pas illimité, il faut cependant faire des choix. Les organisations gagneraient beaucoup à produire moins, mais mieux avec des contenus plus qualitatifs et plus ciblés.


Donc il n'y a pas de "contenu miracle" ?


Non, c’est avant tout une question de contexte, même si celui-ci change régulièrement par les mutations des publics et des plateformes. Il faut arrêter de penser « le contenu » de manière générale, bouleversement que beaucoup de marques ont du mal à comprendre.


Il faut avant tout s’adapter aux attentes et aux besoins de ses cibles, et trouver un équilibre entre ce que les plateformes poussent à faire – par exemple les stories sur Instagram, Snapchat, Facebook – et les objectifs de la marque. Le risque est en effet de s’aligner sur les intérêts des plateformes qui veulent avant tout générer des bénéfices grâce au ciblage. La plupart des études sur le sujet le disent : le public n’a pas forcément envie d’avoir des interactions permanentes avec les marques. Ce qui intéresse le plus les individus qui vont consulter les comptes des marques, c’est d’avoir des informations ou des réductions. Souvent, l’intrusion est donc assez contre-productive. Facebook l’a bien compris en faisant de plus en plus payer les marques qui veulent adresser directement leurs contenus aux individus.


Quels sont les comportements à éviter sur les réseaux sociaux ?


D’abord, ne pas assurer l’ordinaire. Aujourd’hui, on veut trouver une vraie réponse rapidement lorsque l’on a un problème. Quand on voit passer des contenus pour lesquels nous n’avons pas d’appétence (spams), cela pose problème.


Ensuite, ne pas avoir compris les publics. Et cette maladresse est amplifiée par la réaction des community managers face à ce problème : passer un temps long à s’excuser pour des mauvais contenus mal interprétés, mal envoyés.


Il faut aussi arrêter de penser systématiquement en mode « campagne ». Ce qui va assurer un bon leadership, ce n’est pas avoir des métriques, des scores ou des KPI exceptionnels, mais d’avoir des interactions quotidiennes avec les consommateurs, avec des retours plus qualitatifs que quantitatifs. Peut-être serait‑il temps de quitter les dispositifs de mesure de l’engagement inféodés aux plateformes pour que l’organisation définisse son propre système métrique et ne réfléchisse plus systématiquement en termes de likes, de retweets… unités ne faisant pas forcément sens dans le cadre de son activité.

Son parcours professionnel

Brut., un média qui s'adapte à son audience