Vous organisez en septembre prochain, à Deauville, la 1re édition du festival Made in corporate. Un festival de l’audiovisuel d’entreprise dédié à l’innovation. Pourquoi avoir choisi ce sujet de l’innovation ?
L’objectif est d’exploiter le pouvoir de l’image pour valoriser, expliquer et rendre accessible l’innovation. Pourquoi l’innovation ? Parce que c’est un sujet actuel, porteur et positif. Pourtant, c’est aussi un sujet sur lequel les entreprises ont encore du mal à communiquer, alors qu’elles ont tout à y gagner. Ce festival servira à montrer comment l’image en général peut les aider. Nous traitons ici d’innovation au sens large : technologique, bien sûr, mais aussi sociale, organisationnelle ou environnementale… toutes les avancées qui ont du sens pour l’humain et la société.
Comment la communication corporate évolue-t-elle ces dernières années ?
Il y a deux éléments remarquables : la diversification des outils et le changement de posture. La relation entre l’entreprise et ses audiences a changé de terrain et de rapport de force. Nous sommes désormais dans l’échange, le conversationnel. La relation devient « flat », elle n’est plus descendante. Des notions comme le collaboratif et le participatif ne se cantonnent pas aux méthodes de travail, elles s’imposent aussi à l’entreprise dans sa relation à ses publics.
Conséquence directe, le fond et la forme des messages évoluent aussi. Par exemple, il y a de moins en moins de films classiques de type « cartes de visite », mais des formats toujours plus éditorialisés, qui mettent en avant les engagements, les valeurs et les collaborateurs, parfois même plus que les dirigeants.
Que racontent ces mutations sur la posture des entreprises ?
Elles confirment l’émergence d’une notion nouvelle : l’humilité. Les entreprises ont beaucoup pêché dans ce domaine ces dernières années. Être humble, c’est arrêter les messages exclusivement descendants et désincarnés. Il y a un besoin d’authenticité. Ce n’est pas un hasard si le documentaire d’entreprise marche si bien : c’est le « cinéma du réel ».
Ces mutations ne concernent-elles que le discours corporate ?
Non, c’est un fait : la révolution en marche transforme les marques en médias et chamboule l’ensemble de leurs terrains d’expression. Les registres institutionnels et commerciaux se rapprochent de plus en plus. La communication commerciale vit la même mutation : elle s’humanise, s’éloigne du produit pour investir les domaines de l’affect, de l’expérience. Les deux se rejoignent autour de la notion de brand content. D’ailleurs, la distinction entre communication corporate et commerciale n’aura peut-être bientôt plus lieu d’être. Les entreprises se dirigent vers une voix unifiée.
Prenez l’exemple classique de Red Bull. Que vend cette marque aujourd’hui ? Pas une boisson gazeuse, mais des sensations fortes, de l’expérience partagée.
La marque et son identité deviennent-elles plus importantes que le produit ?
Désormais, c’est la marque qui sert le produit, plus l’inverse. Les gens ont besoin de sens et les entreprises se doivent de leur en offrir. L’ombrelle de l’entreprise devra toujours plus nourrir le produit. On n’achète plus vraiment les produits pour leurs fonctions – finalement, toutes les voitures offrent 95% de fonctions communes – mais pour ce qu’ils représentent et disent de nous.
Il est beaucoup question de nouveaux formats. Les entreprises sont-elles équipées pour se les approprier ?
L’enjeu pour les entreprises n’est pas tant technique qu’éditorial : il leur faut créer un écosystème cohérent de valeurs et savoir les partager. L’entreprise qui crée du sens possède un avantage concurrentiel. Ce n’est pas une question de moyens – les outils sont là, ils se démocratisent – mais de réflexion, de stratégie.
N’y a-t-il pas pour les entreprises un risque de « sur-jouer » l’interaction, d’apparaître finalement comme « artificiellement naturelles » ?
S’agissant de discours d’entreprise, il y aura toujours un biais. Et donc des risques d’abus, comme on l’a constaté avec la vague du green washing. Mais le récent scandale Volkswagen l’a prouvé : pour être pérenne et crédible, le discours de marque a besoin de s’appuyer sur du réel.
Je crois au mouvement du flawsome, qui consiste pour l’entreprise à exposer ses points positifs mais aussi négatifs. Par exemple, un constructeur automobile capable de vanter l’aspect écologique de sa voiture électrique, tout en reconnaissant qu’il reste des progrès à faire en matière de recyclage des batteries. C’est une approche intéressante, car elle permet de montrer que l’entreprise est « humaine » : soucieuse de sa responsabilité sociétale, mais consciente de ses défauts. On retrouve la notion d’humilité.
Le public adhère aux discours de transparence et cela favorise la relation de confiance. C’est important, pour des entreprises souvent considérées a priori comme « coupables ».
Mais les entreprises sont-elles prêtes à abandonner une partie de leur image « parfaite » ?
Chaque cas est différent, bien sûr, mais je pense qu’elles n’ont de toute façon plus le choix. Il y a une dynamique générale en marche. On constate une réelle défiance envers les discours institutionnels. Et il existe une opportunité de renouer le dialogue. Mais cela demande beaucoup d’efforts, car le nouveau discours nécessite aussi de se réorganiser en interne, adopter un nouveau discours, casser les silos et apporter de la transversalité. Les entreprises qui réussissent le mieux leur changement de ton sont souvent celles qui ont mené une transformation en interne.
Le festival Made in Corporate Des ateliers de travail pour les Dircoms