Regards d'experts

Communication publique

Presse territoriale : la révolution, sauf sur le fond ?

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Le magazine territorial reste le média préféré des Français pour s'informer sur leurs collectivités (1). Et pourtant, si les supports semblent donner satisfaction, les contenus, eux, sont souvent critiqués. Maître de conférences associé, ancien dircom de collectivités et créateur du prix de la presse territoriale, Didier Rigaud analyse ce paradoxe d'une presse territoriale en pleine modernisation, sauf sur le fond.

Quelles évolutions constatez-vous ces dernières années dans la presse territoriale ?


Didier Rigaud : La tendance est à la professionnalisation. Dans sa forme, avec des maquettes qui empruntent de plus en plus les codes de la presse magazine traditionnelle. Mais aussi dans son organisation interne. On observe la création de véritables rédactions multi-supports, qui gèrent l'ensemble des médias de la collectivité : magazines, sites internet, réseaux sociaux, etc. Des comités éditoriaux transverses s'organisent pour mutualiser la production des contenus, alimenter les différents médias et créer un maximum de ponts entre eux.


Cette mutation concerne-t-elle aussi les lignes éditoriales ?


Malheureusement non, le fond ne suit pas vraiment la forme. Une première étape a tout de même été franchie, avec le passage d'une presse territoriale « vitrine politique » centrée sur l'équipe élue à des contenus davantage tournés sur la vie de la commune, la culture, le sport, les rendez-vous de la communauté… ce qui est une bonne chose a priori.


Seulement, on constate l’absence de sujets politiques de fond. Je ne parle pas de politique partisane ou « politicienne », mais de politique dans son sens noble : la vie de la cité, son organisation et ses grands sujets sociétaux. Ces derniers mois, par exemple, la question de l’accueil de migrants s’est posée dans de nombreuses villes. C’est un sujet qui passionne les citoyens, qui suscite le débat. Mais très peu de magazines de collectivités osent se l'approprier. Pourtant, les questions concrètes ne manquent pas : organisation de l'accueil, financement, scolarisation des enfants, etc.


Comment expliquer cette frilosité ?


Certainement par crainte des clivages. Et de se mettre une partie du lectorat – et de l’électorat – à dos. Pourtant, je ne pense pas que les citoyens attendent dans leur presse territoriale un engagement politique de l'institution. Ce qui les intéresse, c'est de comprendre les choses et leurs incidences sur leur quotidien. Traiter ces sujets sous l'angle de la pédagogie rencontrerait sans doute beaucoup de succès.


Le baromètre 2015 de la communication locale montre que seulement 2 Français sur 10 consultent les réseaux sociaux de leurs collectivités. Manque d'intérêt ou absence de culture du web social chez les collectivités ?


Les possibilités offertes par le digital sont énormes en matière de dialogue direct, d'interactivité et de collaboratif. Il est normal d'imaginer que ces outils favorisent l'émergence d'initiatives de type démocratie participative. Mais ce potentiel n’est pas exploité, par crainte là aussi d’aborder des sujets trop clivants et de devoir faire face à des interpellations directes. Les collectivités vont donc privilégier les sujets dépassionnés, comme la culture, le sport, la vie associative ou les actualités très pratiques. Autant de sujets qui ne suscitent pas les réactions. Et qui n’attirent pas particulièrement l’audience. C'est une sorte de cercle vicieux.


Les collectivités ne remplissent donc pas complètement leur mission d’information ?


Je n’irais pas jusque là, car elles communiquent de plus en plus. Mais la communication territoriale a sans doute perdu un peu de sens. Son rôle devrait être principalement d’informer sur les grands sujets de politique quotidienne, concrète, opérationnelle. Sans pour autant négliger les indispensables informations pratiques qui accompagnent les services aux publics.


Cette situation ne devrait-elle pas évoluer, avec l'arrivée d'une nouvelle génération d'élus, plus portés sur la culture web ?


Les jeunes élus tweetent peut-être plus facilement, mais l'on constate toujours deux grands temps. En période électorale, les réseaux sociaux servent de vitrine politique. En dehors, les prises de parole s'effacent au profit d'un simple relais d'information. Les réseaux sociaux ne sont toujours pas utilisés comme espaces de dialogue, malgré leur potentiel naturel. C'est l'un des défis des dircom et des communicants d'aujourd’hui : arriver à faire ce travail de pédagogie auprès des élus et des équipes dirigeantes, pour redonner à la communication territoriale ses lettres de noblesse et son utilité.


(1) Baromètre 2015 Epiceum–Harris Interactive de la communication locale.