Regards d'experts

Communication interne

« Le réseau social d’entreprise doit être un outil, pas un objectif »

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Tout le monde en parle, peu l'utilise : voilà où en sont les réseaux sociaux d'entreprise depuis leur apparition au début des années 2010. Remise en cause de leur utilité réelle ou question de maturité des entreprises ? Éléments de réponse avec Denis Monneuse, sociologue, directeur du cabinet de conseil Poil à Gratter et auteur du livre "RSE, entre promesses et illusions".

Il devait révolutionner la communication interne et nos façons de travailler. Le futur de l’intranet, le fossoyeur de l’e‑mail, le Facebook interne dont aucune organisation moderne ne pourrait se passer. En 5 ans à peine, le réseau social d’entreprise s’est en effet imposé dans le paysage professionnel. À tel point que la moitié des grandes entreprises mondiales devraient être équipées d’ici 2016(1). En France, 75 % des entreprises du CAC 40 possèdent déjà leur réseau social interne(2).


Comment expliquer un tel engouement ? « Quand on interroge les entreprises, leurs motivations tournent systématiquement autour des notions d’agilité, de travail collaboratif, d’efficacité », explique Denis Monneuse. Ce sociologue spécialiste des questions liées au travail a consacré un ouvrage à la question. « Je voulais savoir si nous étions face à un effet de mode ou si l’outil tenait vraiment ses promesses. » Verdict ? Les deux.


Parmi les équipés, moins de 10 % d’utilisateurs réels


« Parmi mes interlocuteurs, nombreux sont ceux à parler des RSE comme un moyen de mieux communiquer en interne et d’améliorer la vie au travail », raconte‑t‑il. « Cela fonctionne pour beaucoup d’entreprises, et je ne doute pas que ces outils finiront par s’imposer. » Pourtant, quand on interroge les salariés équipés d’un réseau social, ils ne sont pas plus de 10 % à être de véritables contributeurs ; il y a beaucoup d’utilisateurs passifs. Et l’on ne compte plus les projets de déploiement abandonnés en cours de route.

La conséquence inévitable d’un certain effet de mode, selon Denis Monneuse : « Beaucoup d’entreprises ne savent pas vraiment pourquoi adopter un réseau social. Cela ressemble davantage à une impulsion :  on doit s’y mettre, on apprendra sur le tas. » Ce type de stratégie de l’improvisation est souvent synonyme d’échec, car en opposition directe avec la raison d’être des réseaux sociaux.


« Le RSE est un succès dans les entreprises qui avaient profondément envie de se transformer »


« La question du réseau social d’entreprise rejoint celle, autrement plus complexe, de la conduite du changement », explique Denis Monneuse. Et comme pour toute stratégie de transformation, la première question à se poser est pourquoi, plutôt que comment. « L’outil seul ne peut rien. Le RSE sera un levier efficace s’il répond à un besoin et qu’il est utilisé en fonction. Les entreprises dans lesquelles le RSE fonctionne sont celles qui avaient profondément envie de se transformer. Elles ont commencé par s’interroger sur la méthode et ce n’est qu’ensuite que le RSE est apparu comme un élément de réponse. Il n’était pas le déclencheur. »


Et si les collaborateurs étaient réticents au collaboratif ?


Facebook n’est‑il pourtant pas la preuve qu’un outil peut révolutionner nos façons d’interagir ? Le réseau social aux 1,3 milliards d’inscrits(3)ne serait‑il pas le meilleur ambassadeur d’un élan généralisé vers le tout collaboratif ? « C’est une erreur de comparer réseaux sociaux personnels et professionnels », prévient Denis Monneuse. « Sur Facebook, on se met en scène, on s’expose, on donne son avis. Il ne s’agit pas d’une démarche collaborative, on ne co‑construit rien, si ce n’est du lien social. »


Qui dit collaboratif dit transparence, interdépendance et liberté de ton. Autant d’engagements que les salariés ne seraient pas toujours enclins à endosser, selon le sociologue : « Il ne faut pas sous‑estimer la crainte de s’exprimer librement dans l’entreprise, où la parole est moins libre à l’écrit qu’à l’oral. Car les écrits restent. Résultat : on constate une grande prudence, parfois de la méfiance à s’exprimer sur les réseaux sociaux internes. »


Pourtant Denis Monneuse en est persuadé : la réussite des RSE passera par leurs utilisateurs. L’un des enjeux serait d’ailleurs de leur en prouver l’utilité. « À partir du moment où ils constatent des bénéfices concrets, ils en deviennent les meilleurs ambassadeurs. Mais pour cela, il faut les questionner sur leurs vrais besoins, leurs attentes. C’est d’ailleurs le conseil que je donnerais aux entreprises qui veulent s’équiper : votre projet de réseau social interne doit correspondre à votre volonté de fournir un outil utile, efficace et simple à vos collaborateurs. Et ce projet doit se faire avec eux. » De façon collaborative, donc.


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Sources : (1)indicerch.net, (2)Journal du net, (3) Donnée Facebook, mars 2015